Une Candeur Armée

    Sur un perchoir garni de plumes, de dentelles et de pacotille en noir et blanc, se posent deux pigeons aux « ongles » peints, en conversation. De ces pigeons, il ne reste que les pattes. Sectionnées à l’articulation, on voit encore les ligaments et les tendons desséchés. L’oeuvre « Le Nichoir » présente presque en résumé l’exposition « La Douceur des Utopie » de Céline Cadaureille.

    Les ornements textiles, comme donnés à choisir pour se parer, suggèrent au spectateur une vanité à revêtir, comme un rôle qui ne serait plus vraiment d’actualité. Celui d’un personnage issu d’une carte postale d’antan, dont la candeur laisse à sourire. Pourtant, saisi par un détail morbide, on trébuche.

Céline Cadaureille nous expose à des surfaces et à des profondeurs, quotidiennement en présence : ce de quoi nos corps sont faits.

    Des tissus gonflés d’édredons, d’oreillers, pour de la chair, d’où débordent des viscères, des vices, cachés à l’intérieur : parmi les plumes, une plume de fer. Des « organes », entravés par des rubans, des cordes, qui semblent dégorger. Un corset enserre un corps. Candeur enserrée dans l’armature. Candeur armée.

    La tradition rurale du bourbonnais, qui voulait qu’on délègue les charges et revenus de la basse-cour aux femmes, aura encore accentué une parenté stéréotypée, mais consciemment mise à profit, entre les mondes aviaires et féminin dans ce travail. De la trivialité de l’abattage à la frivolité d’un boa de plumes, d’un certain passé convié à travers le choix de matériaux et d’objets datés ou délaissés, l’univers de l’artiste se déploie ici dans différentes dimensions : désuétude, érotisme, séduction, répulsion, étrangeté …

    Les pièces, doucement agencées, s’offrent à nous dans une sorte d’indécence charmante. D’une œuvre à l’autre, on parcourt un espace flottant, entre perte et maîtrise. Cédant parfois aux séduisantes perversions mises à notre disposition, entre les divers attachements mortifères (cordages, Maison Boulet) et les supplices d’éviscération (l’Abattage, le Piaf Éventré), on n’aura pas laissé, pour finir, d’y sacrifier quelques plumes.

    Séduits par l’agencement des propositions, par leur élégance à la fois vive et fanée et par la douceur de leurs surfaces, on aura finalement butté sur à leur aptitude à camper dans un présent ferme et tangible.

Pierre Treille, juillet 2013
Chroniqueur pour ArtFizz

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